La magie est peut-être le Remède. Apprendre à passer par les fenêtres, apprendre à voler, apprendre à croire aux sorts. Ne plus suivre aucune route que celle que trace son propre pas. Devenir aveugle. Devenir muet. Aimer la nuit, et savoir y allumer des flambeaux. Franchir cette ligne qui ressemble tant à l’arête d’une falaise, celle qui sépare le monde de la conscience et la conscience du monde. La vérité d’un côté. Les signes et les incantations de l’autre. Quitter la rive. Larguer l’amarre, éteindre l’aube, une seconde, fermer les yeux, une seconde, les ouvrir sur ailleurs. Découvrir des aubes à chaque heure, à chaque endroit où le regard décide de frapper l’horizon avec lumière. Marcher, marcher encore, sans rien aller chercher. Quitter l’univers donné, faussement découvert, leçon après leçon, appris par cœur avec rigueur, enthousiasme ou souffrance, et reconstruit chaque jour, et chaque jour reconnu. Vécu et subi comme tel, chaque jour, une énigme géante et infinie, une enquête continue, imprimée à même la chair, transposée en soi en un vaste labyrinthe, une récolte de survie amère, une balade en mortes-eaux. Tarir la déduction. Quitter tous les châteaux inhabitables, éparpiller ces briques bâtisseuses, biffer les épigraphes. Couper le ruban fielleux des logiques, abandonner le répertoire sans fin des caractéristiques détectées, assimilées, rangées en ordre croissant d’utilité ou de complexité. Jeter tous les indices. Scruter les remparts de la peur, mesurer les vertiges. Faire le vide, dissiper, écarter de la main toutes ces quadratures magnifiques, ou mieux, détourner le regard, doucement, jour après jour, se laisser dériver. Gagner l’Est. L’Ouest, puis les pôles, fondre Nord et Sud et perdre le pendule. Trouver les brouillards. S’encrer à l’Intérieur. Y établir son refuge, y mettre les peintures de sa foi, et ne plus quitter l’endroit. L’Intérieur, le Lieu-dit, moite et doux comme le dessous de la paupière. Une fois niché, écouter. Traverser les folies, guetter l’écho du dernier cri. Veiller. Attendre de mourir. Attendre de renaître. Suivre le petit air de flûte, la voie de l’Immanence. Telle est la terre de naissance des Magiciens.
Nous sommes des Hommes, nous ne sommes que des hommes, taxon parmi d’autres. Parfois rien. Des Morts en vie. Ensevelis, inachevés, pétrifiés. En attente de renaître, cloués sur place, bouche bée, bêtes en sursis, bestiaux nourris à ration. Nous sommes tous forts, nous sommes tous imbattables, nous sommes tous immortels. Parfois rien qu’une minute. Parfois juste le temps de mourir. Nous sommes tous en colère, un jour, nous plongeons en fureur, nous allons en Guerriers faire nos justices, tous héros et tous pleutres. Nous avons des larmes, pour la plupart nous en avons, elles se perdent le plus souvent. Nous trouvons des espoirs, pyrite trompeuse, nous en garnissons nos poings et nos poches et nous montons des Echelles, pour devenir meilleurs, ou simplement différents, voire pire. Nous mettons des habits de foi ou de fête, nous devinons des Miracles dans nos chances et nos fortunes. Nous tombons de haut, nous succombons mille fois, nous perdons l’ouïe, nous perdons la vue, nous allons en Sourds ou en Aveugles, à tâtons, nous sommes sans pitié, nous sommes oublieux. Nous avons du courage, de temps à autres il sauve des vies. Nous jouons. A tous les jeux, à l’esbroufe, au quitte ou double, au mistigri, à la réussite, et le tout pour le tout. Nous ouvrons des portes, nous en fermons à double tour. Certains oublient d’où ils viennent, se trahissent. Parfois le font par amour. Nous sommes tous amoureux, nous sommes tous infatués, nous portons nos regrets dans de petits tiroirs et posons notre image devant de grands Miroirs, parfois s’emplissent de haine, parfois se brisent, nous bricolons, nous avons nos grandes œuvres, nous réparons, nous cherchons tous un jour notre histoire. Nous sommes tous curieux, en embuscade, nous sommes tous des Veilleurs. Nous errons dans nos lignées, nous fuguons, nous nous perdons, nous prenons des routes lointaines pour trouver des réponses toutes proches. Nous sommes des étrangers sur nos terres d’exil. Nous ne revenons pas toujours, nous sommes tous des Marcheurs, nous avons tous un grand départ en sommeil. Nous sommes tous des êtres libres. Quelque part. Nous franchissons des lignes intérieures, certains oublient le chemin du retour, nous sommes tous des aliénés, des déments, des moins que rien, des génies de poussière, des Fous. Nous regardons par dessus les collines, les cimetières, les charniers, nous mettons nos mains sur nos tympans et nous nous assurons que l'horizon est toujours là. Nous devenons adultes, nous retombons en enfance, nous sommes tous seuls. Nous nous cramponnons à des canots de survie, de drôles de bouées. Et puis, un jour ou l’autre, nous partons en dérive, nous prenons le large, sur un radeau de fortune ou en grande pompe, toutes voiles dehors, avec toutes nos années et toutes nos vérités. Et puis, parfois, une aube, une aube claire comme l’espérance, nous trouvons un secret, et nous allons toper là, enfin, dans la main des mystères.